Réfugiés : le naufrage occidental

L’Europe est submergée. C’est le déferlement. Un flux de clandestins est en train d’envahir l’Europe. Insupportable : « nos pays n’ont pas pour vocation d’accueillir toute la misère du monde ».
Il suffit de quelques mots, d’un vocabulaire bien choisi pour transformer les symptômes de l’effondrement de notre modèle de sociétés en « crise des migrants », voire même « islamique » entend-on parfois.
Ainsi, les fantasmes sont entretenus et la peur est exacerbée. Ainsi, le débat sur les possibles solutions est circonscrit à un cadre « défensif » comme s’il s’agissait d’un phénomène « naturel » sur lequel nous n’aurions pas de responsabilité, dont nous devrions nous protéger.
Toujours la même rengaine du phénomène naturel dont nous serions victimes : la crise, la dette, les sauterelles, les attentats, …

traverser pour piller

Et Monsieur Sarkozy qui parle de tourisme social. Faut-il être déconnecté de la réalité à ce point pour imaginer que des familles entières s’infligent de telles conditions de migration, sans réussite garantie, uniquement par tourisme ? Sarkozy est malhonnête, mais il n’est pas naïf. Tout est bon pour faire oublier que ces personnes sont des humains qui fuient la mort, qu’ils n’ont plus rien à perdre. Tout est bon pour les déshumaniser. C’est qui le touriste ?

Alors, ces gens sont censés venir pour « profiter » de nos richesses ? Nos richesses ? Bien voyons ! D’où vient le pétrole, d’où vient l’uranium, les métaux, les terres rares, la main d’oeuvre qui permettent de fabriquer nos objets ?
Nous sommes rattrapés par une réalité que nous nions depuis des décennies : celle du développement, de ce système pervers héritier du colonialisme, où sous prétexte d’amener la civilisation et la démocratie, on exploite, déstabilise et pille toujours plus.
Ces personnes fuient les conséquences des guerres illégales et désastreuses ayant pour objectif d’assurer le contrôle des ressources fossiles dans ces régions. Quand elles ne fuient pas la guerre (armés par qui ?), elles fuient des dictatures, l’expropriation de leurs terres avec le land-grabbing (accaparement foncier) ou demain, les conséquences du changement climatique. Elles fuient pour survivre, quitte à risquer la mort. Et certaines en meurent, même des enfants …

Aucun citoyen occidental ne cautionnerait l’exploitation des pays du sud. Et pourtant, la quasi-totalité de ces citoyens n’est pas prête, indirectement, parfois inconsciemment, à faire ce qu’il faudrait pour renverser la tendance. Même nous, qui prônons un changement de paradigme, et le vivons partiellement. La situation actuelle nous rappelle douloureusement que nous vivons dans une illusion de liberté de consommer : nos propres modes de vie, dépendant de toujours plus de tirages sur des ressources finies, ont des conséquences sur la vie d’autres personnes, ailleurs, si loin qu’il est impossible de réaliser les conséquences de nos actes. Et pourtant, ces autres personnes se retrouvent aujourd’hui face à la mort dans ces pays, et elles viennent frapper à nos portes.

pompe-afrique

Alors, on fait quoi ? On cherche des solutions sans changer le système et en prenant soin de bien garder les œillères ? Ou bien, on regarde collectivement la réalité en face ?

Certes, on ne peut pas tout changer du jour au lendemain, et il faut bien trouver des solutions d’urgence. Il suffirait déjà de reconnaître politiquement, puis collectivement, notre dette écologique pour que des solutions – oubliées ? – apparaissent et soient acceptées par la société.
Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur notre responsabilité historique face à ces désordres, ces tragédies. Nous avons un devoir de solidarité, d’autant plus que nous en sommes matériellement capables (et pour causes …), pour accueillir humainement et en bonne intelligence ces populations désespérées, que ce soit temporairement ou définitivement.

Tirons un enseignement de cette situation critique pour en faire un tremplin vers de nouveaux mondes. Une bonne partie des populations qui arrivent appartient aux classes éduquées de leurs pays. L’enjeu n’est pas de faire du brain-gain, mais de penser ces opportunités de rencontres comme tremplin pour un véritable dialogue des civilisations. Nos sociétés occidentales changent et doivent évoluer dans une perspective de Décroissance. La transition est en marche, mais ce n’est que le début. Cela est insuffisant si le reste du monde ne questionne pas cette fuite en avant vers le toujours plus. Faisons des migrants des ambassadeurs de cette transformation afin de casser le mythe de l’occident, de la consommation illimitée. De même, ces personnes arrivent avec une autre vision du monde, des relations humaines, des expériences de vie riches d’enseignements qui peuvent contribuer à sortir nos sociétés de ce cercle vicieux mortifère et individualiste.
N’avons-nous pas là un levier pertinent pour tourner la page du toujours plus, de la compétition économique et de ses conséquences, pour laisser place à un monde de « buen vivir » ? Profitons-en pour imaginer d’autres modes de vie, même si ça implique de renoncer au modèle actuel apparemment si confortable, si désirable. Car assurément, nous gagnerions du bien-être collectif à sortir du consumérisme.

Cela doit s’accompagner d’un changement de paradigme dans les relations internationales : posons les vrais problèmes sur la table et sortons de cette fuite en avant guerrière pour le contrôle des ressources naturelles. Le XXème siècle et ses logiques impérialistes, nationalistes et de compétitions économiques doivent appartenir au passé !

Vite, initions des transitions vers des sociétés soutenable est souhaitables. Soyons plus sobres, questionnons nos usages, simplifions nos productions, rendons les durables, réutilisons. Partageons vraiment, mettons en place un espace écologique (DIA et RMA), sérénisons la société, généralisons la bienveillance. Et surtout, relocalisons, relocalisons pour économiser de l’énergie, pour avoir une agriculture soutenable, pour créer du lien, pour rompre avec la banalité de nos actes aux conséquences désastreuses.
Vite, initions dès maintenant des chemins vers une relocalisation ouverte, c’est-à-dire une relocalisation solidaire et dans le dialogue, qui n’a rien à voir avec la préférence nationale.

Stéphane Madelaine en collaboration avec Vincent Liegey, auteur de chronique de Reporterre

Cette entrée a été publiée dans 1. Sociale, 3. Anthropologique, Actu. Placez un signet sur le permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.