Et si tous les Charlies se réappropriaient la politique ?

pas de coté« Le capitalisme canalise les frustrations des hommes, les empile, comme il accumule le capital, et fait gonfler des bulles qui finissent par crever comme des bombes. » Bernard Maris

Il y a presque 20 ans sortait sur les écrans La Haine. Ce film raconte l’histoire de notre pays, la France, en chute libre : « au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »
Nous ne voulions pas voir la chute. Nous venons de nous prendre en pleine figure cet atterrissage d’une terrible violence. Cette tragédie n’est que la partie émergée, spectaculaire, d’un mal bien plus profond.

Notre société crée des monstres. Ces monstres sont nés en France et ont grandi en France. Comment se fait-il que notre société échoue à faire grandir des enfants dans un environnement serein et apaisé ? Comment se fait-il que des franges entières de la population se réfugient dans des communautés étanches, voire hostiles, les unes des autres, qu’elles soient religieuses ou pas (la religion n’explique pas tout) ?

N’est-ce pas là une nouvelle occasion d’interroger notre modèle de développement occidental ? Sommes-nous assez irresponsables, voire cynique, pour prétendre qu’il est le père de sociétés sereines, paisibles et fraternelles ? Sommes-nous assez naïfs pour s’étonner de la haine et des violences qu’il enfante ?
Le capitalisme, et sa quête morbide et illusoire à toujours plus de croissance, a érigé en système l’individualisme et la performance économique. Il ne cherche pas à atténuer les mauvais cotés de la nature humaine, il les cultive et en fait la « règle unique ». De plus, notre mode de vie est responsable d’une quête effrénée vers une énergie bon marché, vers une main-d’œuvre toujours moins chère, vers le pillage des ressources minières. C’est-à-dire qu’il est responsable de l’exploitation d’une grande partie de la population mondiale et de la destruction d’équilibres sociaux et écologiques.
Certes, dans une compétition, il y a des gagnants, mais il y a surtout des perdants. Et quand le consumérisme marchandise toutes les sphères de la vie, jusqu’à notre propre humanité, il ne reste plus beaucoup d’espace pour rester dignes. Les extrémismes fondamentalistes l’ont bien compris. Le Front-National aussi. La peur, le sentiment d’injustice et de rejet sont porteurs.

Pour continuer à vivre dans nos mirages d’un bonheur illusoire formaté par les publicitaires, sommes-nous prêts à en assumer les guerres économiques, militaires et sociales ? Pour nous-même, les autres populations du Monde, et les générations futures ? Où sommes nous disposés à prendre collectivement conscience des conséquences de nos actes, mêmes le plus anodins ? A payer le vrai prix de notre pseudo-liberté de jouir et consommer sans fin ?

N’est-il pas temps de se poser, ensemble, les vraies questions ? De se tourner vers l’autre, les autres ? Non pas pour afficher une pseudo unitude de façade pour assumer ce qui fait la richesse et la résilience des écosystèmes, la diversité.
De nombreux témoignages, de magnifiques écrits, dessins et caricatures ont été diffusés et partagés ces derniers jours, avec beaucoup d’émotions, de sincérités, de doutes, de questionnements, d’humilité, de rage, d’amour…
Mais à terme, sur quoi va déboucher cette unité émotionnelle, récupérée et construite autour de « je suis Charlie » ? L’unité médiatique, en s’appuyant sur ce slogan quasi-publicitaire, nous a assigné à choisir entre deux camps. N’est-ce pas une manière de nous contraindre au simplisme, et surtout de nous interdire toute possibilité d’ouvrir le moindre débat qui prend en compte la complexité de la situation ? Est-ce ainsi que nous allons nous en sortir ?

De tels événements nous ramènent au 11 septembre 2001 … Le réveil fut douloureux avec une mégamachine qui a vite repris les choses en main pour nous entraîner toujours plus vite dans sa chute. Les attentats ont d’ores et déjà été récupérées et interprétées selon les techniques que Naomi Klein a brillamment décrit en 2007 dans « La Stratégie du choc » , notamment en expliquant comment l’oligarchie (avec les médias qu’elle contrôle) dirige l’opinion vers l’union sacrée autour de ses propositions.
Les mesures annoncées par Manuel Valls sont à ce titre révélatrices de l’état d’esprit guerrier et répressif qui s’annonce, mais avec l’aval de tous les citoyens encore émus. Il en est de même avec le maintien des budgets militaires que le président Hollande n’entend plus sacrifier. Les armes et la répression plutôt que l’éducation et les crayons, pourtant brandis bien haut le 11 janvier 2015. L’union sacrée est un leurre formidable car la mégamachine avance toujours comme le rappelle l’action d’Areva intentée contre des anti-nucléaires, l’Union Européenne qui facilite la culture d’OGM ou encore la loi Macron qui sera adoptée fin janvier et qui risque d’augmenter la violence économique. Loin de l’unité, c’est le chacun pour soi avec l’avantage aux riches et à l’oligarchie qui est renforcé.

Alors, que faire ? Déjà, ne pas tomber dans le piège d’une réaction défensive. Ni dans l’angélisme, c’est à dire dans le piège du simplisme paresseux. Il va falloir faire face, toutes et tous, à ses propres croyances, ses vérités, et être capable de les remettre en cause. Il va falloir s’écouter et se tourner vers les autres.
Les mêmes mots, les mêmes images, les mêmes déclarations n’ont pas les mêmes sens ? Pour mettre des mots sur les maux, il va falloir communiquer. N’est-ce pas là l’une des bases de l’intelligence humaine. La communication non-violente pour débattre au lieu de se battre.

En fait, il va s’agir d’investir le champ politique et le champ de l’action délaissés et marginalisés ces dernières années. C’est urgent ! Ne plus subir un système économique et démocratique qui nous est présenté comme naturel et immuable, mais reconstruire une autonomie collective à force de rencontres, de débats, de pensées et d’expérimentations. Cette dynamiques est déjà en marche, avec les Décroissants et beaucoup d’autres. Nous avançons avec nos propositions et nos expériences : la relocalisation ouvertes, des outils démocratiques conviviaux, des outils de solidarité qui savent se passer de la croissance du PIB, et une décolonisation de l’imaginaire consumérisme et économiciste (plus de détails en annexe ci-bas). Ainsi, nous voulons nourrir le débat politique et citoyen que nous appelons de nos voeux. Car soyons lucides ; voter, manifester ou acheter un journal une fois l’an, même en masse, ne sera pas suffisant.

Être ou ne pas être Charlie là n’est pas la question. L’enjeu est de faire preuve, toutes et tous, d’humilité, d’auto-critiques et d’ouvertures. L’enjeu est de dialoguer, pour sortir de ses vérités. L’enjeu est de (re)faire de la politique pour ne pas laisser les récupérateurs hypocrites de tout bord faire leur beurre … et rajouter une tragédie de plus. Alors, prenons le temps. Faisons de la politique, posons les vraies questions et construisons de nouveaux mondes pleins d’espoir, déjà en construction, afin de sortir de l’impasse mortifère dans laquelle on nous déjà bien trop engagé !

Vincent Liegey, Christophe Ondet et Stéphane Madelaine
Collectif « Un Projet de Décroissance »
http://www.projet-decroissance.net/

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Sortir de la religion de l’économie
Nous sommes dans une impasse anthropologique. Nous sommes devenu des homo-economicus. Nous baignons dans le délire aux conséquences barbares et aveugles que le bonheur, le bien être, le sens que l’on pourrait donner à nos vies se résumeraient dans des chiffres. Que le bon sens, les émotions, l’altruisme, la culture, le dons, la réciprocité n’existeraient pas, n’existeraient plus. Alors on massacre les cultures dites « premières », « irrationnelles », au nom de cette arrogante modernité. Quelle tristesse, quelle misère que nos sociétés fondées sur la compétition, la rivalité ostentatoire et encore plus sa religion des indicateurs : combien de Keuros valons nous ? Nous sommes devenu incapable de voir le monde, de le penser, de l’intellectualiser autrement que par la croissance du PIB, du niveau de la dette publique, de nos salaires, primes, stock options… Nous n’avons jamais autant accumulé, dans cette quête morbide et illusoire que l’on pourrait s’acheter l’immortalité comme l’expliquait très bien notre compagnon de route Bernard Maris en parlant de la croissance…
On en est même arrivé à croire que l’argent était plus importante qu’un système de santé, que l’éducation, que purement et simplement de l’humanité lorsque l’on laisse des gens mourir de « froid » en hiver. Et tout ça au nom de sacro-sainte dettes dont il va falloir questionner la légitimité.
Non à leurs remboursements, du moins pour les parties illégitimes, oui à une réppropriation d’une économie, réencastrée dans la vie sociale et au service de politique de transition vers de nouveaux modèles de sociétés soutenables et souhaitables.

Sortir du consumérisme
Nous vivons dans cette toute puissance individualiste basée sur le toujours plus de saloperies. Et on s’en fout, puisque lorsque l’on va dans des magasins nous ne sommes jamais confrontés aux conséquences destructrices de nos actes d’achats. On s’en fout. Ici nous jouissons. Là-bas ils trinquent. Et on continue dans le toujours plus. Mais nos vies sont tellement vides : stress, perte de sens, peurs, dominations, violences, exclusions, solitudes. On ne se parle plus que par tablettes interposées… On voit le monde que par les écrans, celui de la société du spectacle avec ses matchs du Qatar Saint-Germains, des peurs entretenues par ses politiques cyniques, des mensonges et manipulations éhontées de la publicité. Il faut bien des palliatifs. Alors quand ce ne sont pas des antidépresseurs ou de la coke, c’est une grosse bagnole, un portail ou un séjour dans un club med sécurisé en Tunisie faute d’y envoyer nos savoir faire en terme de répression… ou la violence quand il ne reste plus que ça.
Nous vivons dans cette illusion narcissique d’une pseudo liberté de consommer… on se rend en bagnole au supermarché en regrettant ces guerres au Moyen Orient sans se rendre compte que c’est pour sécuriser son approvisionnement essence que l’on en a besoin…
Alors oui à la simplicité volontaire, au don et au partage.

Sortir du productivisme
Quel bonheur ce serait de retrouver cette unité politique vue à Paris le 11 janvier à la COP21 à l’automne prochain… Mais quelle unité ? Hypocrisie et cynisme… à moins de comprendre qu’il n’y aura pas d’avancées dans les questions écologiques sans sortir du productivisme. Tant que nous ne nous libérons pas de ce techno-scientisme industriel qui nourrit la pompe à fric oligarchique, rien ne se fera possible. Nous pourrons parler des écosystèmes, des cycles écologiques, de la biodiversité, de la raréfaction des matières premières… mais ce ne sera que des mots creux, au service du greenwashing. Consommez, dormez tranquilles, les multinationales vous inventent les énergies de demain, toujours plus de saloperies, quand ce n’est pas l’homme de demain…
Qu’attendons nous pour vraiment questionner : qu’est-ce qu’on produit ? Comment ? Pour quel usage ?
Pour entrer dans l’âge des low tech et de l’agroécologie ? Pour nous réapproprier nos productions et savoir faire ?

Décroissance des inégalités
Il est temps d’aborder la question des inégalités. Le mythe de la Croissance a toujours permis aux plus riches de repousser cette question en partageant quelques miettes. La croissance ne reviendra pas et si elle revient on n’en veut plus. Non, le mode de vie des plus riche n’est pas souhaitable. Oui il détruit la planète. Oui il crée des déséquilibres sociaux. Oui il détruit la démocratie tout autant qu’il participe à créer des monstres.
Alors que les inégalités n’en finissent plus de croître, il est grand temps de les questionner : revenu maximum acceptable, dotation inconditionnelle d’autonomie.

Relocalisation ouverte
Il est temps de repenser nos modèles de sociétés en relocalisant nos productions pour des raisons écologiques et énergétiques évidentes, économiques pour plus de justice sociale et démocratiques pour plus de participations à la vie de la cité. Mais surtout il faut relocaliser pour se rencontrer autrement qu’à travers les chaines d’information en continue. Il est urgent et surtout souhaitable de relocaliser pour recréer du lien, pour mettre des mots sur les maux, pour créer des équilibres sociaux, des solidarités, pour s’engueuler de vive voix, pour ne plus avoir peur. Pour plus de convivialités, c’est à dire avoir d’autres relations humaines dans nos productions, nos échanges. Pour plus d’autonomie, c’est à dire être les acteurs du sens que nous souhaitons donner à nos vies. Retrouver le sens des limites, sortir de cette toute puissance et réapprendre à aimer la vie, les choses simples : small is beautiful…
Mais relocaliser ne doit pas signifier le repli sur soi. C’est pourquoi il est important de parler de relocalisation ouverte pour vivre là où nous sommes, dans l’environnement qui est le notre avec celles et ceux qui sont autour de nous mais en laissant les portes ouvertes. Pour voyager, c’est à dire rencontrer mais aussi accueillir. La diversité est porteuse de bien-être, d’intelligence et d’ouverture, mais elle n’est pas l’unitude… S’ouvrir aussi pour plus de solidarités dont nous aurons toujours besoin entre les espaces écologiques de vie.

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